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Une journée en enfer ou Glace versus Barbara : 9 à 4
Après cette nuit un peu frisquette et pas très joyeuse. Quel que soit l’état de la route et de la météo, je ne me voyais pas rester coincé une semaine ici.
Je me lève, ni une ni deux je regarde le ciel – toujours gris prêt à neiger – tant pis, je fais mes affaires. Surprise en voulant démarrer la moto, le circuit électrique se coupe brusquement au moment d’actionner le démarreur électrique. Je secoue la moto et voilà mes voyants qui se rallument. Je relance le démarreur, tout se coupe, plus de jus. Grosse frayeur, je n’ai pas de kick sur cette moto et je suis une bille en électronique. Je pense batterie, froid, relais, faux-contact… J’arrête finalement de penser, je maintiens le démarreur enfoncé et secoue violemment la moto, ça marche.
Voilà ce qui m’attendait aujourd’hui : une piste défoncée, recouverte de glace, saupoudrée de neige. Miam.
400 mètres plus loin, BIIIMM, ma première vraie gamelle depuis le départ de ce voyage ; si on met de côté ma glissade dans la boue lorsque les ouvriers Kazakhs m’ont conduit à leur campement. 800 mètres plus loin, BIIIMM, c’était donc ma deuxième. J’avais à peine parcourus 1 km que je m’étais déjà ramassé deux fois, sans compter cette épaule maintenant assez douloureuse. Car oui, j’ai été con, j’ai essayé de relever la moto avec son chargement…
J’ai sorti la carte « Be Strong » , puis la carte « Moral de fer » et j’ai continué.
A la 4 ème chute, je trouvais ça presque normal. On aurait presque pu m’imaginer en train de décharger cette moto couchée au sol en sifflotant. Car oui, il faut garder à l’esprit que les étapes : glisser au sol, se relever, décharger la moto, relever la moto, glisser, relever la moto, recharger, souffler, repartir en laissant trainer les pieds sur les côtés comme de petites roulettes… tout ça me prenait grosso-modo entre 20 et 30 minutes à chaque fois.
A la 6 ème chute, alors que j’étais sur de la piste, j’ai pris un visage grave et une importante décision. Il était hors que question que je continue comme ça avec mes pneus mixtes, devenus lisse avec le temps. Leur bande de roulement ininterrompue allait voir de quel bois je me chauffe… j’ai sorti le couteau.
Si vous montrez ça à un motard, il vous dira que j’étais soit fou, soit désespéré. Je pense que c’était un peu des deux. N’empêche que ça m’a bien aidé. Je déconseille tout de même cette opération périlleuse à mes lecteurs.
A la 7 ème chute, je commençais à être vraiment nase et j’ai appelé Clémence pour la prévenir de la situation. On a fait un point avec mes cartes : j’étais parti il y a 4h, j’avais avancé de 26 km, chuté 7 fois, il faisait -5°C et recommençait à neiger. Le prochain village était dans 18 km, c’était devenu mon ultime objectif.
Ce dont je ne me doutais pas, c’est qu’il allait y avoir ce petit bonhomme qui est sorti d’un fourré alors que je venais à peine de racrocher. Je ne l’avais pas vu arriver avec son camion citerne, car il roulait plus loin dans les champs et c’est arrêté après m’avoir vu au loin, seul sur la route. Il n’a fallu aucun mot pour qu’il comprenne la situation, il a déchargé ma moto et a tout installé dans son camion ; il m’a fait signe de le suivre, il allait m’ouvrir la voie. En effet, trop dangereux de rouler sur la « route », il coupait à travers les champs.
Il m’a montré le chemin et est venu m’aider à relever la moto à chaque chute (dont une où on c’est tous les deux cassé la figure sur la glace en essayant de relever Barbara). Et surtout il m’a souri à chaque fois le plus sincèrement du monde, avec les quelques dents qu’il lui restait. Je suis arrivé avec son aide pour la tombée de la nuit dans le village. Je venais de faire une étape de 42 km.
PS : Vous aurez peut-être remarqué le ″9 à 4″ du titre, qui symbolise ces 4 fois où j’ai réussi à « rattraper », d’un jeu de hanche et de guidon, les glissades de la bête de 300 kg. Je peux vous dire que j’étais FIERTÉ !
Bienvenue chez lui
Lui, c’est cet homme dont j’ai oublié le nom. Oui je sais, c’est honteux. Mais c’est vrai, j’ai une mémoire auditive absolument hors d’usage. Autant ma mémoire visuelle est particulièrement bonne, je peux regarder la carte d’une ville inconnue et la mémoriser pour m’y orienter. Mais la mémoire auditive est chez moi une véritable catastrophe, d’où aussi ma grande difficulté à apprendre les langues étrangères je pense.
Ce que j’ai de lui, c’est cette signature qu’il a posé sur le dessin. Je demande presque systématiquement aux gens d’écrire leurs noms à côté de mes croquis, mais il l’a carrément signé. Pourquoi pas, mais je ne peux plus déchiffrer son nom.
Lui, c’est l’homme que vous voyez porter mon casque à la fin de la vidéo « Barbara et les rencontres magiques » . Car figurez vous que l’homme à cheval, je ne l’ai jamais revu. Il ne m’avait pas invité à manger chez lui, mais chez un ami. Dommage, j’aurais bien aimé le photographier cet homme aux chevaux magiques.
Cet homme était gentil, étrange, tourmenté et surtout contrasté, tout comme son pays. Je suis resté 2 jours et 2 nuits avec lui, coincé par la glace et la neige qui n’arrêtait pas de tomber dehors. On avait du mal à communiquer et il ne voulait pas que je l’aide pour les travaux de la maison, alors parfois je le filmais. Mais le deuxième soir, alors que sa femme n’était pas là, il est devenu plutôt agressif avec moi. Il me disait de partir, il était 20h et faisait déjà nuit noire, il neigeait et faisait -8°C dehors. Il n’avait pas rallumé le poele à charbon de la journée, la température de la maison descendait progressivement, le moral avec.
Je suis allé dans la cuisine et j’ai trouvé cette bouteille de vodka qu’on avait ouvert ensemble, vide à côté d’une autre à moitié entamée. Je me suis servis un grand verre que j’ai bu cul-sec. J’ai enfilé toutes les couches de vêtement que j’avais à portée et je suis allé fermer les yeux, assis sur le canapé.