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Borat avait raison.
A l’heure où vous lisez ces quelques lignes, je dois théoriquement être en train de passer la frontière Russe pour rejoindre Barnaul en Sibérie. C’est donc la fin de ce long périple au Kazakhstan. Ce pays m’a marqué et je voulais vous en toucher deux mots.
D’une part, c’est pour le moment le pays dans lequel j’ai passé le plus de temps (pour ce voyage, on s’entend bien). D’autre part c’est un pays que je ne connaissais absolument pas. Du coup forcément, on s’attache.
La première nuit que je passe au Kazakhstan je me fais voler mon appareil photo et la deuxième nuit j’atterris dans la plus grosse ville pétrolière du pays ; autant vous dire que les premières impressions furent assez négatives, sans compter que je n’arrivais pas à communiquer pour un sou.
Mais ce pays, rempli de contrastes, n’a fait que me séduire par la suite. Malgré les nombreuses galères rencontrées, il y avait toujours quelqu’un pour m’aider, une rencontre pour me faire sourire et une nature plus improbable que jamais. Le Kazakhstan est surement le pays le moins touristique que j’ai pu traverser dans ma vie, dans le sens où rien ici n’est fait pour ça. Ce n’est pas un pays qu’on visite…. C’est un pays que l’on vit. C’est pour cette raison que j’ai particulièrement envie d’y revenir, pour le revivre encore et encore.
Kazakhstan, de ta première jusqu’à ta dernière nuit, tu n’auras fait que me surprendre ; tu vas me manquer.
PS : Si vous ne comprenez pas le titre, regardez le film « Borat », au moins pour la culture. Si ce film (à prendre au 20ème degré, cela va de soi) fait grincer des dents, a créé de véritables incidents diplomatiques et a été censuré dans de nombreux pays, je le trouve bien plus intelligent qu’il n’y parait. Avis aux amateurs.
« Borat est un personnage de fiction interprété par l’humoriste britannique Sacha Baron Cohen. Ce Kazakh est une caricature des stéréotypes sur les pays pauvres méconnus d’Asie, aux coutumes et aux mœurs jugées douteuses par l’Occident. »
(source : Wikipedia)
Quelques portraits Kazakhs
C’est sur les conseils de ma petite soeur – lors d’un coup de téléphone S.O.S. moment-dur-à-passer – qu’elle m’a dit
« Et si tu prenais du temps pour dessiner ? Moi j’adore tes dessins » .
Alors voici, pour elle, quelques portraits Kazakhs.
PS : Le premier portrait n’est pas véritablement Kazakh, il est d’origine Turc. Ce mec a été d’une gentillesse tellement bienveillante, que pour la première fois j’ai accepté qu’il arrache la page du carnet, pour la mette dans sa poche. Merci Ismail pour cette soirée.
Barbara, la Sibéria-Twin
Le jeu de mot n’est pas de moi, mais il m’a fait rire. Il est vrai que « Africa-Twin » pour le nom d’un moto, laisse plutôt rêver aux paysages du Paris-Dakar, tel qu’elle a été conçue ; plutôt qu’aux paysages de glace je lui fais vivre actuellement.
Une petite opération de chirurgie esthétique s’imposait : voici Barbara, la Sibéria-Twin.
Profitant de mon arrêt forcé à Astana, j’ai réussi à lui installer ses nouveaux pneus (des MITAS E09 Dakar, pour ceux que ça intéresse) particulièrement adaptés pour le off-road sur longue distance. Je lui avais installé juste après mon premier matin de glace, les manchons que mon père a glissé dans l’une de mes caisses. Ces manchons ont véritablement sauvé mes mains, c’est maintenant (avec les -12°C quotidiens) le seul endroit où j’arrive à garder une température descente. Et miracle des rencontres, j’ai réussi à faire clouter mes pneus le jour d’avant mon départ d’Astana !
PS : A l’heure où j’écris ces lignes, 1/3 des clous (rentrés par pression dans la gomme des crampons) ce sont déjà fait la malle. Ça aura été une belle tentative, mais à la vitesse où je les perds je pense que je n’en aurais plus aucun pour le passage « délicat » des montagnes de l’Altaï.
Danseurs et salle de ballet
La salle de ballet, c’était cette salle typique de cours de danse : miroirs tout du long, barres d’appuis et parquet recouvert d’une sorte de lino noir.
C’est ici que Toni y formait les danseurs, tant le corps de ballet que les solistes. Moi je restais assis dans un coin, discret, à écouter la musique et regarder ces corps magnifiques se mouvoir comme jamais je ne pourrais le faire. J’étais admiration.
Les deux premières photos n’ont pas été faites dans la salle de ballet, mais sur la scène pendant une répétition d’orchestre et dans les escaliers du hall d’entrée. Elles font partie des photos que j’ai réalisés pour le catalogue officiel du ballet. Etant donné que j’étais là et qu’ils avaient besoin de photo, pourquoi ne pas allier l’utile à l’agréable ?
Costumes et couturières
Mercredi c’est « pêle-mêle »… sauf que cette semaine (enfin la semaine dernière, vu que j’ai pris du retard) je n’ai pas roulé. Je préfère donc vous présenter deux salles qui m’ont particulièrement touchées à l’Opéra d’Astana.
La première étant la salle des costumes, où plutôt le royaume des couturières ! J’y étais comme un enfant dans une usine de jouet : émerveillé par toutes ces couleurs, ces matières et ces petites mains fripées qui y travaillaient avec le sourire.
Je crois que j’avais une touche avec certaines de ces vieilles femmes Kazakhs, il faut dire que Toni et moi étions un peu les seuls à s’intéresser à leur travail. Je m’y sentais bien et ce n’était pas sans me rappeler de bons souvenirs.
Toni Candeloro
Toni Candeloro est un célèbre danseur danseur italien qui continue maintenant sa carrière en tant que chorégraphe. Il a été invité par l’Opéra National d’Astana pour mettre en place le ballet d’Esmeralda.
Pendant cette semaine passée à Astana (pour remettre Barbara sur pied et demander un deuxième visa Russe), j’ai passé le plus clair de mon temps avec lui. Un homme adorable avec qui le feeling est tout de suite très bien passé. Il m’a présenté à tout le monde, m’a ouvert les portes de toutes les salles de l’Opéra et a tout fait pour m’empêcher de reprendre la route.
Regardez ces photos et imaginez le en train de dire cette phrase avec un bel accent italien : « Nan mais ça va pas, non ? Tou es fou… Tou va dans le vide là, tou risque ta vie dans la steppe avec les loups et ces hommes presque sauvages. Jo t’en pris, laisse ta moto ici et prend un avion, ç’a beaucoup mieux pour toi. Tou va mourir tu sais ? Jo ne peux pas te laisser partir comme ça avec ta moto. »
Toni, tu vas me manquer, c’était magique de t’avoir connu ici au Kazakhstan.
Enfin à Astana…
Après cette journée assez hallucinante de lutte grêco-romaine, je me suis retrouvé comme un con à espérer qu’un coach ou un lutteur m’aiderait à trouver une solution pour rejoindre Astana. Tenter de faire à moto les 320 km qu’il me restait avec cette route entièrement gelé et aurait été du suicide. Mais tous les jours ne peuvent pas être remplis de rencontres magiques… le soir de la compétition je me suis retrouvé tout seul, sans aide, dans cet immense dortoir ; les jeunes champions avaient désertés les lieux juste après leurs combats. Grand moment de solitude.
J’ai finalement réussi à attraper par la manche un dernier coach qui avait traîné plus longtemps que les autres, le suppliant de m’aider car il parlait russe et un peu anglais. Après quelques coups de fil, il a réussi à dégoter quelqu’un qui avait une remorque et qui voulait bien m’emmener avec la moto jusqu’à Astana. L’homme en question est arrivé – avec 3h de retard – pour voir s’il pouvait prendre la moto et me demander la modique somme de 20 000 Tuengue (environ 100€, mais pour ici c’est énorme). Un Turc qui passait dans le coin m’a dit que je me faisais enfiler bien comme il fallait, en même temps je n’avais pas tellement d’autre solution… du coup on est allé se descendre une bouteille de vodka avec un ami à lui. Soirée super sympa.
Le lendemain, l’homme en question est venu me chercher – avec 2h d’avance – pour charger la moto. Barbara mal en point sur la remorque, moi tristounet sur le siège avant, il me parlait russe et pensait surement me faire plaisir en mettant du Joe Dassin pendant toute la route… j’ai eu envie de me tirer une balle tellement ce trajet de 5h fut déprimant.
Finalement arrivé à Astana, je me pose rapidement dans un hôtel, dépose mes affaires et file au restaurant pour me remplir le ventre. Un classique, ils n’ont que des menus en cyrillique. Je me prépare donc à faire mon coup de poker favoris : choisir un plat au hasard, sans savoir ce que je vais manger… quand tout à coup une voie à une table voisine me dit « Can I help you ? I speak english, italian or french if you want. »
Je venais de rencontrer Toni Candeloro, danseur et chorégraphe italien qui est à Astana pour mettre en scène le ballet d’Esmeralada, accompagné d’une amie Géorgienne, qui elle parlait parfaitement italien et russe. Ils m’invitent à manger avec eux et le repas fut excellent. Je parlais français, il traduisait en italien, elle traduisait en russe, la serveur prenait la commande en Kazakh.
Résumé Twitter de la semaine 2011-11-07
- La température maximal d’aujourd’hui a été de -9°C. Froid n’est pas vraiment le mot que j’aurais choisi pour décrire ce qu’on peux ressentir #
- Point météo. Astana (KZ), Demain -16°C -__- » #BeStrong #BeHot #
- Je recherche des infos sur un mec en Russie qui pourra peut-être me « clouter » mes pneus et je tombe sur ça http://t.co/GoIv4p6o #priceless #
- Je crois que j’ai besoin de partir loin, pour me rendre compte combien les gens me manquent. J’aime ça, ce recul, cette prise de conscience #
- Certains de vos emails me font pleurer. Je voulais vous le dire. Merci. #
- Demande de visa Russe : CHALLENGE ACCEPTED *o/* #
- Toi < SEGA < L’hiver Kazakh #
- Aujourd’hui, on va essayer de trouver des Moon-Boots pour Barbara ; voir même des crampons d’alpinisme. #
- « DUDE !!!! » « HEY ! T’es où mec ? » « Bukhara, Uzbekistan ! » « Moi Astana, Kazakhstan » Putain c’est bon de retrouver l’ami @rubenbrulat #
- C’est quand je regarde la carte, que je relis certains mails et pleure devant vos petits mots, que je me dit que rien n’est impossible. #
- Mon moral varie en fonction des rencontres. Moral +1000 #
- Hier je déconnais pour le pic à glace ! J’en ai pas. J’ai attaqué Barbara au tournevis plat pour retirer la couche de glace. #1cm #
- Ici c’est Picard-Land. À chaque fois je veux utiliser quelque chose ou ouvrir une caisse, il faut que je passe par l’étape « decongélation » #
- #doutes #
- Je suis arrivé à Astana STOP Je suis en vie STOP Je vais decongeler Barbara au pic à glace et je reviens STOP À vous. #
Le Championnat National de Lutte Grêco-Romaine
Des rencontres improbables vous aviez dit ? Lisez donc la suite.
Le soir de cette journée en enfer, après que l’homme au camion citerne m’ait aidé à rejoindre la petite ville de Zhaksy, pas évident de trouver où dormir. D’autant plus qu’il m’avait laissé un peu loin à l’entrée de la ville ; lui avait encore beaucoup de route à faire. Après un faux-espoir de pouvoir rejoindre Astana le soir même en camion, ce sont des policiers qui traînaient dans le coin qui sont venus à ma rescousse. On avait beau me dire de faire particulièrement attention aux flics du Kazakhstan, pour le moment je n’ai eu que de bonnes expériences ! Ces deux flics m’ont donc conduit dans un hôtel… enfin ce que je croyais au début être un hôtel.
La concierge leur dit que non ce n’est pas possible, ils sont complet ce soir. Ça discute, tout le monde essaye de comprendre ce que je fais ici, quand soudain un type sorti de nulle part (comme toujours) comprend que je suis photographe. Son regard change, il avait une idée derrière la tête. Il discute un peu avec la concierge, avec les flics, me demande si j’ai de quoi payer ma nuit… et me fait finalement signe de le suivre. Il me conduit dans une chambre avec de gros messieurs bien balaises et me dit de m’installer sur le lit libre.
Je venais d’atterrir dans le dortoir d’un gymnase, la veille du championnat national de lutte Grêco-Romaine du Kazakhstan pour les 13-14 ans ! Je dormais donc avec les coachs. J’allais couvrir l’évènement le lendemain.
Ces enfants ont tous 14 ans. Leur discipline associé à leur âge, a été pour moi d’une violence à couper le souffle.
Alors que je venais de prendre cette dernière photo… ce visage angélique tout droit sorti d’une peinture religieuse, cette brutalité, cette souffrance, cette volonté, cette hargne… Je me suis mis à pleurer, là sur le tatami, à côté d’eux. Après la journée que je venais de passer la veille, trop de sentiments se sont bousculés.